La charge d'entrainement démystifiée - partie 2 / 3. L'effet cumulé des séances successives

Jean-Claude Hujeux
Introduction:

Dans le post précédent, nous nous sommes intéressés à la charge d'entrainement d'une séance, calculée de façon que la valeur 100 soit équivalente à une séance de 1 heure au seuil (de puissance, de fréquence cardiaque, d'effort perçu). Dans ce post, on s'intéresse à l'effet cumulé de la charge d'entrainement au fil des séances, qui fait apparaître les notions de condition physique, fatigue, monotonie, contrainte et forme, et le diagramme  PMC (Performance Management Chart) de suivi de la performance.

En pratique, deux approches principales sont proposées:

Condition physique et fatigue:

Un modèle s'est imposé pour prendre en compte l'effet cumulé des séances successives: l'effet de la charge d'entrainement CE de chaque séance d'entrainement est d'augmenter
De plus cette effet diminue avec le temps à un taux proportionnel à sa valeur: c'est la décroissance exponentielle, utilisée pour suivre l'évolution de nombre de phénomènes physiques et biologiques, et qui revient à écrire: X n X n-1 , où α<1 . On relie α à la constante de temps τ par la relation α=exp (- 1 τ ) τ est exprimé en jours. Le tableau suivant donne les valeurs de α pour les valeurs souvent retenues de τ pour la condition physique (42 jours) et la fatigue (7 jours):


L'effet cumulé de l'ensemble des séances précédant un jour donné est la somme des contributions pondérées de chacune de ces séances: c'est leur moyenne mobile exponentielle , qui s'exprime très simplement en fonction de l'effet au jour précédent, et de la contribution de la séance du jour, soit pour la condition physique Cn et la fatigue Fn, en fonction de la charge d'entrainement du jour CEn:

Cn=αcCn-1+(1- αc)CEn Fn=αfFn-1+(1-αf)CEn

Notons que le modèle de Banister est usuellement présenté en utilisant la notion d'impulsion d'entrainement. On montre ici que c'est bien identique à la présentation en moyenne mobile exponentielle, à un facteur multiplicatif près.

La condition physique et la fatigue sont donc toutes deux des valeurs moyennes de charge d'entrainement (un peu particulières il est vrai), qui ne diffèrent que par leur taux de diminution quotidien respectifs αc (par défaut 0.976) et αf (par défault 0.867). Cette différence est néanmoins importante: la fatigue s'élimine en quelques jours, la condition physique se perd en quelques semaines.

Cas particuliers - Exemples:

Prenons l'exemple d'une séance unique de charge d'entrainement 100 (équivalente à 1 heure au seuil) au jour 1, pour un athlète initialement pas entrainé:

Effet d'une seule séance

Puisqu'il s'agit de valeurs moyennes, il est légitime de comparer la condition physique et la fatigue calculées à la charge d'entrainement: l'effet de cette séance d'entrainement unique, équivalente à une séance de 1 heure au seuil est faible sur la condition physique (un peu plus de 2), il est plus significatif pour la fatigue (un peu plus de 13), qui diminue rapidement, les courbes se croisant vers le 14ème jour qui suit la séance.

Prenons maintenant l'exemple d'un athlète qui à partir du jour 1 effectuerait tous les jours une séance d'entrainement de charge 100:

Effet d'une séance quotidienne

On voit que la condition physique et la fatigue tendent toutes deux vers la valeur 100. C'est par construction puisqu'elles représentent des valeurs moyennes de la charge d'entrainement. C'est assez rapide pour la fatigue puisqu'elle atteint pratiquement la valeur 100 après 35 jours. C'est beaucoup plus lent pour la condition physique, puisque après 100 jours d'entrainement, la condition physique s'approche de 91.

Et la forme dans tout cela ?

La condition physique améliore la performance et la fatigue la diminue. Il est donc logique de définir la forme comme la condition physique à laquelle l'effet de fatigue est retranché:

Forme = Condition physique - λ . Fatigue

La forme correspond à la Performance de Banister, et si λ=1, au TSB (Training Stress Balance) de Coggan.

On trouvera  ici une discussion sur le choix du paramètre λ, et ci-dessous deux diagrammes pour les valeurs de λ  1 et 0,5, et dans le cas d'un athlète qui effectuerait 50 jours à la charge d'entrainement 100 suivi de 50 jours de repos.

Condition physique, fatigue et forme λ = 1


Condition physique, fatigue et forme λ  =0.5

Le TSB de Coggan (λ = 1) prédit que la forme - l'effet de l'entrainement - ne devient positive  que si l'on se repose (!). Si on continuait indéfiniment les séances, la forme resterait négative, en s'approchant de 0. En choisissant λ = 0.5, on observe qu'initialement l'effet de fatigue l'emporte, mais qu'après une certaine période (une trentaine de jours) l'amélioration de la condition physique consécutif à l'accumulation des séances d'entrainement commence à l'emporter et la forme devient positive. Si on continuait indéfiniment les séances, la forme se stabiliserait à une valeur de 50, ce qui est au moins qualitativement plus satisfaisant. C'est bien la valeur λ = 0,5 que nous recommandons par défaut. Le diagramme montre également l'effet de surcompensation, avec la forme qui augmente rapidement au début de la période de repos, dû à l'élimination rapide de la fatigue, avant de décroître  à nouveau après une bonne dizaine de jours, dû à la perte progressive de condition physique.

Le diagramme de suivi de la performance (PMC):

Le diagramme ci-dessus est un exemple de diagramme PMC,  qui représente l'évolution de la condition physique, fatigue et forme au fil des entrainements. L'exemple ci-dessous est un cas réel généré par tukos:

Diagramme PMC généré par tukos

C'est le diagramme PMC pour mon activité physique (vélo de route) hebdomadaire de juillet 2021 à mars 2022. Les barres verticales présentent la charge d'entrainement quotidienne moyenne de la semaine, basée sur la fréquence cardiaque et la puissance respectivement (voir la partie 1 de cette série de posts). Les courbes présentent l'évolution de la condition physique, fatigue et forme, suivant le modèle décrit dans ce post, et en utilisant les charges d'entrainement en fréquence cardiaque.

 Le diagramme illustre la forte sensibilité de la courbe de fatigue aux (absences d') activités récentes, et l'impact induit sur la forme. A l'inverse, la condition physique requiert des semaines de charge d'entrainement soutenue pour s'élever significativement. On voit que sur la période, la condition physique se situe souvent proche de la valeur 50, ce qui correspond à une charge d'entrainement moyenne quotidienne de 1/2 heure au seuil, et dans la réalité entre 2 et 4 sorties de 2 à 4 heures par semaine, avec diverses intensités.

Le diagramme PMC permet donc d'avoir une vision dans la durée de son activité physique, pouvant être une aide précieuse pour préparer des objectifs durant la saison. Dans mon cas, un objectif était de monter le Maido à la Réunion en fin de dernière semaine de janvier 2022: 2100 m de dénivelé positif en 27 kms, Le diagramme PMC m'a motivé à ne pas trop baisser l'entrainement durant la saison hivernale et entre Noël et Nouvel An (semaines S51 et S52), et à un pic de charge la 3ème semaine de janvier, afin d'atteindre un "pic de forme" et une bonne condition physique pour la fin de la semaine suivante: objectif atteint 😎.

Monotonie, contrainte et forme:

Foster a proposé une approche différente, qui repose sur la charge d'entrainement moyenne et son écart-type, sur une base hebdomadaire, associée à la perception d'effort de séance. L'hypothèse est que la répétition quotidienne de séances de même charge - la monotonie (définie comme la charge d'entrainement moyenne de la semaine divisée par l'écart-type) - est un indicateur de fatigue et de risque de blessure. La contrainte, qui caractérise la fatigue est le produit de la charge moyenne par la monotonie, et la forme est la différence entre la charge et la contrainte:

Forme = Charge moyenne . ( 1 - Monotonie)   ;   Monotonie = Charge moyenne / écart-type

La monotonie agit donc comme un réducteur de forme. La méthode est illustrée sur le tableau ci-dessous:

Méthode de Foster: Charge d'entrainement quotidienne et son impact sur la monotonie, contrainte et forme.

La première ligne correspond à un athlète qui s'entrainerait tous les jours avec la même charge quotidienne sans jamais inclure un jour de repos; la deuxième ligne à un athlète qui se reposerait le dimanche seulement, la troisième à un athlète qui se reposerait les mardi, jeudi et samedi, et la dernière correspond à la répartition typique de mon activité vélo hebdomadaire. Pour les 4 scenarii la charge d'entrainement hebdomadaire est de 700. Pour la première ligne, l'écart-type étant nul, le modèle prédirait une contrainte infinie, la monotonie a donc été plafonnée arbitrairement à 10.

On voit l'impact très important de la monotonie sur la forme, au point  de rendre la charge d'entrainement secondaire, et d'ignorer les charges d'entrainement des semaines précédentes. Dans mon cas où une charge d'entrainement typique est plutôt proche de 350, clairement après une semaine à 700 ma forme serait fortement diminuée et justifierait d'un repos conséquent pour bénéficier à plein de l'effet de surcompensation.

Cela ne signifie pas que "Foster s'est trompé". Il faut se souvenir qu'il a établi sa méthode à l'intention d'athlètes de haut niveau  qui s'entrainent pratiquement quotidiennement. L'objectif dans ce cadre de la prise en compte de la monotonie est d'encourager à l'alternance de séance intensives et d'autres qui le sont moins. Les scenarii choisis dans le tableau correspondent à des extrapolations où la méthode n'a pas été validée et où elle s'applique mal, mais qui sont néanmoins réalistes pour le "sportif occasionnel".

Il semble plus judicieux de mettre en évidence la monotonie sans la relier à la contrainte et la forme, et veiller à ce qu'elle reste inférieure à 2 (risque de blessure). Elle pourrait également être calculée différemment, par exemple en éliminant les jours de repos, et en en faisant une moyenne exponentielle pour prendre en compte de façon dégressive les entrainements des semaines précédentes. Elle pourrait également inclure d'autres paramètres que la charge, à commencer par l'intensité.


Et en pratique ?

En pratique, comme pour les charges d'entrainement vous n'avez pas forcément le choix: vous utilisez une application de suivi d'entrainement qui a décidé pour vous de la (des) méthode(s) pour le suivi de la condition physique, fatigue et forme.

En pratique, l'approche de prédiction de la condition physique, fatigue et forme à partir des moyennes mobiles exponentielles, complétée par la mise en évidence de la monotonie semble un bon compromis.

Les paramètres du modèle sont τf, τc et λ dont les valeurs par défaut proposées sont 7, 42 et 0,5 respectivement. Faut-il individualiser les valeurs de ces paramètres par athlète ? On trouvera une discussion ici sur le choix de ces valeurs. Le diagramme PMC est à interpréter qualitativement plutôt que quantitativement. J'en conclus est qu'il y a possiblement peu de bénéfices, et pas mal de difficultés à s'écarter des valeurs par défaut.

On peut générer des courbes de fatigue, condition physique et forme non seulement à partir des charges d'entrainement en fréquences cardiaque, mais également à partir des charges d'entrainement en puissance ou en effort perçu. Le diagramme PMC en puissance serait peu différent du diagramme PMC en fréquence cardiaque, comme le montre le faible écart entre les charges d'entrainement en fréquence cardiaque et en puissance sur le diagramme PMC ci-dessus. Notons par ailleurs que pour les semaines S1, S2, S3 et S4 je ne disposais pas de capteur de puissance (séjour à la Réunion, mon vélo et son capteur de puissance étaient restés en métropole). Dans ces cas le diagramme utilise à la place la charge en fréquence cardiaque. Comme mentionné dans le post précédent, c'est bien l'avantage de la fréquence cardiaque d'être nettement plus disponible que la puissance.

Un diagramme PMC basé sur la perception d'effort de séance est également possible, à la condition bien sûr que l’athlète fournisse sa perception d'effort à l'issue de chaque séance. Notons que dans ce cas, puisque l'athlète répond à un questionnaire, il est intéressant de lui demander, en plus de sa perception d'effort de séance, d'autres perceptions, comme ses sensations de séance (on peut avoir une perception d'effort très difficile avec d'excellentes sensations, ou l'inverse) ou son humeur, ce qui est une façon d'effectuer le suivi de la fatigue, condition physique et forme différente, mais aussi complémentaire, de l'approche PMC.

La caractéristique de l'approche PMC est qu'elle considère qu'une séance courte à forte intensité et une séance longue à moindre intensité ont la même contribution à la condition physique, fatigue et forme, pourvu que leur charge d'entrainement calculée soit la même. C'est clairement une simplification, et nul doute que l'athlète et son coach sauront varier et adapter le contenu des séances, d'une part pour éviter la monotonie, mais aussi pour adapter le contenu des entrainements à l'objectif visé. Pour mon objectif Maido mentionné ci-dessus, j'ai augmenté de façon importante le dénivelé de mes sorties dès le mois de novembre 2021, et le mois de janvier passé à la Réunion m'a permis de m'adapter à la chaleur et aux pentes soutenues à 8% et plus sur des dizaines de kms. Ceci ne se voit pas dans le diagramme PMC.

Dans le troisième et dernier post de cette série, nous verrons comment compléter les charges d'entrainement, condition physique, fatigue et forme par d'autres indicateurs, permettant d'établir un tableau de bord de suivi des séances et du programme d'entrainement, en fonction des objectifs spécifiques de l'athlète, et prenant mieux en compte le contenu des séances.