La charge d'entrainement démystifiée - partie 1 / 3: La charge d'une séance

Jean-Claude Hujeux
Introduction:

Difficile de s'y retrouver dans la jungle des sigles, acronymes et approches mentionnés dans la littérature sur le suivi de la performance et la charge d'entrainement des athlètes en endurance:


extrait de S. Seiler, décembre 2020.

L'objectif de cette série de posts est de montrer que la quantification de la charge d'entrainement suit quelques grands principes communs aux différentes approches, qu'une  approche unifiée est possible, et que les approches sont complémentaires plutôt que concurrentes.

Dans ce premier post, on s'intéresse à la quantification de la charge d'une séance d'entrainement seule.


La trilogie du suivi de la charge d'entrainement:



La trilogie du suivi de la charge d'entrainement (d'après S. Seiler, décembre 2020).

Un athlète durant l'entrainement génère une charge externe, directement liée à sa performance. Il en résulte des réponses physiologiques et des réponses de perception, qui sont des "coûts internes" induits. Charge externe, réponses physiologiques et réponses de perception sont trois "facettes" du suivi de l''entrainement, chacune avec sa pertinence, et que l'on cherche à quantifier.

Intensité et Charge d'entrainement:

Il est logique de poser, pour une séance d'entrainement: Charge d'entrainement = Durée * Intensité. Dans ce qui suit, la durée est exprimée en heures.

L'intensité se décline sur chacune des facettes mentionnées ci-dessus, via la grandeur mesurée ou estimée utilisée: puissance et/ou vitesse pour la charge externe, fréquence cardiaque pour le coût physiologique, ressenti d'effort pour le coût perçu.

Toutes les approches se basent sur une relation entre le "degré de mobilisation" de la grandeur choisie, et l'intensité. Pour unifier ces approches, on représente cette relation dans le diagramme suivant:

Intensité en fonction du degré de mobilisation de la grandeur choisie



Le degré de mobilisation de la grandeur choisie varie de 0 lorsque l'intensité est nulle (repos), à 1 au "seuil", où on donne à l'intensité la valeur 100 (pour une durée exprimée en heures). Ce seuil correspond à la valeur de la grandeur choisie que l'athlète peut maintenir pendant une heure jusqu'à épuisement. La grandeur choisie peut être

Les courbes de Coggan et de Banister sont proches l'une de l'autre (une comparaison détaillée est disponible ici), et sont convexes pour prendre en compte le fait que l'intensité augmente d'autant plus vite que le degré de mobilisation de la puissance ou de la fréquence cardiaque est élevé.

Prise en compte de la variation d'intensité durant la séance:

Le degré de mobilisation de la grandeur choisie varie tout au long de la séance d'entrainement. On peut alors appliquer l'approche ci-dessus en utilisant les valeurs moyennes pour l'ensemble de la séance. On peut aussi calculer la contribution à la charge d'entrainement de chaque intervalle et les combiner,  sachant qu'une trace gpx fournit des mesures toutes les secondes:
Il y a deux différences majeures avec l'approche de Banister:
  1. alors que dans l'approche de Banister c'est le même modèle exponentiel avec le même paramétrage (paramètre b) qui est utilisé pour l'effet de valeur moyenne et l'effet de variation, dans le modèle de Coggan, un modèle quadratique est utilisé pour l'effet de valeur moyenne, et d'ordre 4 pour l'effet de variation. L'auteur n'a identifié aucune étude publiée justifiant, ou même qui aborde cet aspect.
  2. par construction le modèle de Banister est additif: la charge calculée de 2 demi-séances est égale à la la charge calculée d'une séance, alors que ce n'est pas le cas pour le modèle de Coggan, ce qui est une sérieuse entorse aux lois de la physique, même si cela n'empêche pas le modèle de Coggan d'être très populaire.
On trouvera ici une analyse plus détaillée de ces points, qui conclut que la courbe de Banister est préférable.

Et en pratique ?

On a potentiellement à sa disposition des modèles d'intensité et de charge d'entrainement sur une même échelle d'intensité de 0 à 100 pour un degré de mobilisation sur une échelle de 0 au seuil, qui sont complémentaires en fonction de la grandeur choisie (externe, interne/physiologique, interne/perçue), et qui sont quantitativement proches, qui respectent les lois fondamentales de la physique si on utilise la courbe d'intensité de Banister. En théorie ils sont même strictement identiques au degré de mobilisation 0 (ce qui nous fait une belle jambe 😉), et au seuil, ce qui est nettement plus utile, à condition que les valeurs de seuil soient "parfaites". A condition aussi, pour la fréquence cardiaque que le degré de mobilisation 0 (la fréquence minimale) soit "parfait".

En pratique, sauf si comme moi vous êtes un geek, vous n'avez pas le choix: vous utilisez une application de suivi d'entrainement, qui a décidé pour vous de quelle(s) charge(s) d'entrainement est calculée, et comment est effectué ce calcul. En pratique également, le mode de calcul n'est pas documenté avec suffisamment de détail. Certains, et non des moindres, le gardent même secret 👎.

En pratique également, on n'a pas toujours la possibilité d'accéder à la grandeur choisie. C'est un argument en faveur de l'approche RPE qui ne nécessite pas de capteur. C'est aussi un avantage de la fréquence cardiaque, à la portée de tous les athlètes (quelques dizaines d'Euros) et pertinente pour tous les sports. La puissance est utilisée par une minorité d'athlètes: elle est disponible pour les cyclistes, mais à un prix élevé, et commence à l'être pour la course à pied, au prix d'une mesure indirecte et à un coût un peu moindre que pour le vélo mais en centaines d'Euros quand même.

En pratique aussi, il faut donner les valeurs des paramètres dépendant de l'athlète. La bonne nouvelle est qu'il y en a très peu: la valeur au seuil de la grandeur choisie, et pour la fréquence cardiaque sa valeur au degré de mobilisation 0 (fréquence 0 watts, un peu plus élevée que la fréquence cardiaque au repos).

Finalement, il est utile de se rappeler que tous les modèles ne sont au mieux qu'une approximation de la réalité. Ils sont des outils à la disposition de l'athlète et son coach, et surtout pas un remplacement à leur vécu, expérience et expertise. Si ces modèles capturent les bonnes tendances, c'est leur évolution comparée qui sera fort instructive. Par exemple une augmentation du rapport entre la charge d'entrainement externe (en puissance) et la charge d'entrainement physiologique (en fréquence) est une indication de l'amélioration de la performance. A l'inverse une perception d'effort plus difficile pour une séance où la charge physiologique (en fréquence cardiaque) est en baisse par rapport aux séances précédentes peut être une indication de fatigue excessive, ou de difficulté physiologique.

Dans le post suivant, on aborde l'effet des séances successives.