Estimation de la puissance à vélo - partie 3: analyse durant la séance et prise en compte du vent
Introduction
La conclusion du post précédent était que le flux de puissance estimée, calculé à partir des flux distance et altitude des enregistrements gps de sorties vélo, peut compenser l'absence de capteur de puissance pour le calcul de la charge puissance des séances.
Dans ce post, on examine la qualité de la puissance estimée elle même durant une séance et l'importance - ou non - de la prise en compte de l'effet du vent.
Analyse pour 3 séances récentes
Les diagrammes ci-dessous, générés par tukos, présentent la corrélation entre la puissance mesurée durant la séance, la fréquence cardiaque et la puissance estimée, pour 3 sorties récentes. Les calculs ont été effectués en ignorant la vitesse du vent (vitesse nulle).
Afin de pouvoir comparer fréquence cardiaque et puissance,
on utilise le pourcentage de mobilisation de chaque (0 au repos, 100 au seuil, voir ici pour la définition du degré de mobilisation).
les flux puissance sont lissés par une moyenne mobile pondérée à 30 secondes afin de tenir compte de la différence de variabilité entre fréquence cardiaque et puissance
Pour alléger les diagrammes, les points sont échantillonnés toutes les 30 secondes. Le code couleur suit la chronologie de la sortie: de blanc à jaune durant le premier quart, de jaune à orange durant le deuxième quart, de orange à rouge durant le troisième quart, et de rouge à rouge foncé durant le dernier quart.
Séance du 25 octobre 2024 (figures 1 et 2): lendemain d'une soirée festive, avec une nuit courte, séance solo d'un peu plus de 2h20 et 62 kms, avec un vent soutenu, de face durant la première heure, puis favorable:
Rien dans les jambes pour cette sortie, et incapacité à monter en cardio, ce qui se traduit figure 1 par une mobilisation cardio moyenne à
52,4% du seuil, nettement inférieure à la mobilisation puissance à
62,4% du seuil. La mobilisation cardiaque est particulièrement faible en première partie de sortie (nombreux point blancs et jaune nettement sous la droite de corrélation, avec R2 = 0,5).
La figure 2 montre une mobilisation de la puissance estimée moyenne proche de la mobilisation mesurée moyenne (65,3 vs 62,4). Par contre, avec R2 = 0.27 la qualité de la corrélation par point est nettement moins bonne que pour la mobilisation cardio. On voit en particulier une majorité de points orange et rouge, qui correspondent à la deuxième heure, nettement au-dessus de la droite de corrélation, alors qu'à l'inverse une majorité de points blancs et jaune se retrouve sous la courbe. C'est la conséquence directe de l'effet du vent, non pris en compte dans le calcul de l'estimation. L'effet est plus marqué pour les points oranges: vent dans le dos, la vitesse augmente nettement, et elle intervient au carré dans la formule de calcul de la puissance estimée.
Séance du 22 octobre 2024 (figures 3 et 4): Initiée comme une séance solo de récupération, un beau soleil, peu de vent et de bonnes sensations l'ont transformée en une sortie de bonne intensité, de 2h6 pour près de 59 kms.
Les mobilisations moyennes cardiaque, puissance estimée et puissance mesurée sont très proches (72.8, 75.3 et 73.8 respectivement). La corrélation par point est meilleure pour la puissance estimée (R2 = 0.63) que pour la mobilisation cardiaque (R2 = 0.46), avant tout semble-t-il pour la faible mobilisation cardiaque en début de sortie (points blancs correspondant aux premières 15 / 20 minutes d'échauffement), qui diminue son R2, mais surtout lié au faible vent qui a permis une valeur plus élevée du R2 pour la puissance estimée (0,63 contre 0,27 pour la séance du 25 octobre).
Séance du 20 octobre 2024 (figure 5 et 6): Sortie club de 3h20 et près de 88 kms, avec vent soutenu, plutôt de face durant la première moitié.
La mobilisation moyenne cardiaque est plus élevée que la mobilisation puissance mesurée, elle-même plus élevée que la mobilisation puissance estimée (68.5, 64.2 et 60.4 respectivement). La corrélation par point pour la mobilisation cardio est la meilleure des 3 séances analysées (R2 de 0.62, 0.46 et 0.5 respectivement), légèrement meilleure que pour la puissance estimée (R2 = 0.59).
On remarque que la mobilisation cardio est plus proche de la droite de corrélation en début de séance que pour les séances du 22 et 25 octobre: j'étais en retard pour le rendez-vous, un stress initial qui a fait monter ma fréquence cardiaque avant même de monter sur le vélo, et un gros effort de 10 minutes pour arriver à temps au point de rendez-vous (pas d'échauffement) expliquent cette différence, et sans doute la meilleure corrélation.
On remarque également que la puissance estimée est en majorité sous la droite de corrélation pour la première moitié de la sortie (points blancs et jaunes) effectuée avec vent défavorable, les points oranges et rouge (troisième quart de la sortie) sont en majorité au-dessus, avec quelques points très élevés (indiqués par l'ellipse verte). Durant cette partie de la sortie, le groupe a forcé l'allure, avec un vent favorable. Pour tenir l'allure, j'ai dû "m'écraser" sur le vélo et m'abriter au mieux. L'allure est montée à 40 km/h et plus pendant plusieurs minutes, avec un pic à 45 km/h comme le montre le zoom Strava ci-dessous. La puissance estimée qui ne prend pas en compte l'effet du vent prédit donc une puissance beaucoup trop élevée pour cette séquence.
Discussion - Prise en compte de l'effet du vent
On peut conclure que lorsque le vent est faible, la puissance estimée durant la séance est correctement corrélée à la puissance mesurée (séance du 22 octobre, figure 4). Par contre, lorsque le vent est bien présent, la corrélation se dégrade, avec, sans surprise, une sous-estimation systématique face au vent et une surestimation lorsque le vent est favorable.
Ceci n'empêche pas les valeurs moyennes estimées d'être proche des valeurs moyennes mesurées, ainsi que les charges puissance estimées et calculées (voir la partie 2 de ce post), pour ces sorties avec retour au point de départ. Bien sûr il en serait autrement pour des sorties itinérantes.
Est-il possible alors d'inclure l'effet du vent sans ajouter trop de complexité pour l'utilisateur ? La bonne nouvelle est que les enregistrements d'activité Strava incluent le flux latlong stream, qui contient pour chaque seconde en mouvement la latitude et longitude du cycliste. De l'écart entre deux points successifs on peut déduire la direction du cycliste.
Les spécialistes des coordonnées géographiques appellent relèvement (bearing en anglais) l'angle mesuré depuis le nord et dans le sens horaire de la direction de la personne en mouvement: 0 degré s'il va vers le nord, 180 degrés s'il va vers le sud, etc.
La formule complète de calcul à partir de la latitude et longitude des points de départ et d'arrivée est complexe, mais dans notre cas de deux points très proches (séparés d'une seconde), elle se simplifie à:
Δ latitude (resp.longitude) est la différence de latitude (resp.longitude) entre le point précédent et le point courant
latitude est la latitude du point courant
Au niveau de l'équateur, si Δ latitude = Δ longitude > 0, la direction est nord-est. Sous nos latitudes (45 degrés), il faut que Δ latitude = 0,707 Δ longitude pour qu'il en soit de même (la circonférence des parallèles devient de plus en plus petite au fur et à mesure que l'on s'approche des pôles).
Si on fournit la vitesse et direction moyennes du vent sur une séance, on peut donc tenir compte - partiellement - de l'effet du vent sur la séance en appliquant la formule du relèvement, et en prenant en compte l'angle entre la direction du vent et celle du coureur à chaque seconde en mouvement.
C'est ce qui est fait dans les figures suivantes, générées par tukos:
La figure 8 est à comparer à la figure 2: c'est la séance du 25 octobre. En introduisant un vent moyen de sud-sud-ouest de 2,5 m/s, on obtient le meilleur R2 à 0,55, à comparer à 0,27 sans effet du vent, et la mobilisation moyenne estimée augmente de 65,3 à 66,1.
La figure 9 est à comparer à la figure 6: c'est la séance du 20 octobre. En introduisant un vent du sud de 2 m/s, on obtient le meilleur R2 à 0,62, à comparer à 0,59 sans effet du vent, et la mobilisation moyenne estimée augmente de 60,4 à 60,6.
Dans les deux cas, les points oranges qui surestimaient fortement la puissance et correspondent à la partie vent dans le dos à vitesse élevée sont ramenés vers la ligne de corrélation, ce qui élimine l'anomalie visuelle présente sur les figures 2 et 6.
Finalement, l'impact de la prise en compte du vent sur la charge estimée de ces séances reste faible: 0% pour la séance du 25 octobre, 3% pour celle du 20 octobre, comme le montre le tableau suivant (calculs effectués par tukos):
Date
Charge puissance mesurée
Charge puissance estimée sans vent
Charge puissance estimée avec vent
25 octobre 2024
93
104
104 (vent 2,5 m/s)
20 octobre 2024
145
130
126 (vent 2,0 m/s)
Les observations météorologiques historiques sont accessibles sur le site opendatasoft. On y trouve par exemple les données pour l'Essonne (où les sorties étudiées ont eu lieu):
ici pour le 25 octobre 2024: la direction du vent était à 210 degrés
(donc pratiquement sud-sud-ouest), et sa vitesse a augmenté de 2,5 m/s 1h30 avant la sortie à 5,4 m/s
1/2 heure avant la fin de la sortie
ici pour le 20 octobre 2024: la direction du vent était à 190 degrés (donc pratiquement au sud), et sa vitesse a augmenté de 3,9 m/s à 5,2 m/s durant la sortie.
Les vitesses de vent choisies pour l'estimation de puissance (2,5 m/s pour le 25 octobre, 2 m/s pour le 20 octobre) l'ont été pour maximiser la corrélation durant la séance (le R2). Elles sont inférieures d'environ 50% à la vitesse observée (et de la prédiction sur l'application météo de mon téléphone).
En effet, la vitesse du vent mesurée en station météo n'est pas la même que celle qu'affronte le cycliste:
en station météo le vent est mesuré à une hauteur de 10 mètres (moyenne sur 10 minutes)
le cycliste et son vélo sont à 1 mètre du sol, et les arbres, édifices et autres effets de relief réduisent l'effet du vent. La prise en compte en divisant par 2 la vitesse fournie par la météo n'est donc pas choquante.
Conclusions
Avant tout, en temps réel sur le vélo, rien ne remplace le capteur de puissance !
Pour des sorties avec retour au point de départ, la prise en compte ou non de la vitesse du vent dans le calcul de la charge puissance estimée a peu d'influence.
Par contre sa prise en compte (vitesse et direction moyennes durant la séance) permet une meilleure estimation durant la séance des puissances instantanées.
Nul doute que pour des sorties en itinérance où les points de départ et d'arrivée sont différents, la non prise en compte de l'effet du vent introduirait un biais important de la charge puissance (surestimation si le vent est favorable, sous-estimation dans le cas contraire).
L'implémentation de la prise en compte du vent dans le calcul est simple, à partir du flux de latitude et longitude disponible dans les enregistrements gps (par exemple le flux latlong stream dans Strava).
L'utilisateur lui devra fournir la direction et vitesse moyennes du vent pour sa sortie, en divisant la vitesse fournie par son application météo (ou le site opendatasoft ) par 2 pour tenir compte des conditions différentes en station météo et sur le vélo.