La charge d'entrainement démystifiée - partie 3 / 3: prise en compte du contenu des séances et tableaux de bord

Introduction - Résumé des épisodes précédents

Le diagramme PMC de suivi de la charge d'entrainement résume les parties 1 et 2 de cette série de posts:

Diagramme de suivi de la charge d'entrainement
(généré par tukos)

  • La charge d'entrainement croît exponentiellement avec le degré de mobilisation de la grandeur choisie, fréquence, puissance ou perception d'effort, normalisée de sorte que 1 heure au seuil génère une charge de 100.
    • Pour le calcul de la charge en puissance d'une séance, un lissage est appliqué aux mesures de puissance (moyenne pondérée des 30 dernières secondes), pour se rapprocher de la variabilité en fréquence cardiaque
  • La fatigue et la condition physique sont les moyennes pondérées de la charge d'entrainement de chaque séance, choisies de sorte que la fatigue cumulée des séances passées diminue d'environ 13% chaque jour, tandis que la condition physique diminue d'environ 2,5%.

Le diagramme ci-dessus présente ma charge d'entrainement (vélo de route)  en fréquence cardiaque et en puissance pour l'année 2023, sur une base hebdomadaire.  Il prend en compte le remplacement de la forme par la progressivité, ainsi que  recommandé ici

Jusqu'à très récemment, c'est l'outil que j'ai utilisé au fil des sorties  pour quantifier mon niveau de préparation. Si j'ai un gros enjeu sportif à un moment de l'année, je sais qu'il faut que ma condition physique (cardio et puissance) soit proche ou dépasse 50 avec une progressivité plus proche de 0.8 que de 1 à la veille du jour J. 

C'était le cas lors de ma dernière montée du Maido (voir ici) , et cela signifie plusieurs mois de charge journalière moyenne de 50 et plus. Je sais aussi qu'en dessous de 40, il m'est difficile de suivre l'allure du groupe 1 de mon club vélo.

Par ailleurs, si l'enjeu est une cyclo-sportive de longue distance, je fais attention d'inclure des séances de longue distance dans la préparation. S'il s'agit de challenge en montagne, j'inclus des séances de dénivelé.

L'objectif de ce dernier post de la série est alors de compléter le diagramme de suivi de la charge d'entrainement pour fournir un tableau de bord personnalisé de suivi de la préparation du sportif, en ajoutant des indicateurs qui permettent de quantifier l'adéquation du contenu des séances aux objectifs spécifiques du sportif.


Quels indicateurs additionnels ?

Un programme d'entrainement efficace, doit varier le contenu des séances (type d'activité, domaines d'intensité ou de travail: zone cardiaque, de puissance, force et vélocité, cadence, dénivelé, etc.) en fonction de la discipline sportive du sportif et de ses objectifs de la saison.

De nombreux indicateurs peuvent être calculés à partir des informations disponibles chaque seconde dans les enregistrements de séance: distance, altitude, fréquence cardiaque, puissance, cadence, dépendant des capteurs disponibles.

Intensité de séance, intensité moyenne et variation d'intensité:

Pour une séance, puisque l'on a par définition Charge d'entrainement = Intensité * Durée, l'intensité de séance est le quotient de la charge d'entrainement par la "durée active" de la séance. 

Pour les sports avec déplacement (course à pied, vélo, natation), la durée active est le temps de déplacement. On exclut donc les périodes de pause, qui de toutes façons sont absentes des enregistrements de séance:
Intensité séance = Charge d'entrainement Durée active
Comme la charge d'entrainement, l'intensité de séance prend en compte la variation d'intensité durant la séance: elle est plus élevée que l'intensité moyenne de séance qui se calcule à partir du degré de mobilisation moyen, par exemple la fréquence moyenne.

Le quotient de l'intensité de séance par l'intensité moyenne est l'indicateur variation d'intensité: sa valeur minimale est 1, pour une séance à intensité constante, et il est d'autant plus élevé que les variations d'intensité durant la séance sont fortes.

Si on prend l'exemple de la charge en puissance, pour une séance dont la puissance moyenne est au seuil (à la FTP), l'intensité moyenne en puissance est de 100, alors que l'intensité de séance en puissance est supérieure à 100. Elle est à comparer à la puissance normalisée de Coggan (voir par exemple ici).


Temps et charge par zone d'intensité:

Les indicateurs de temps par zone cardiaque ou zone de puissance sont beaucoup utilisés par les athlètes. Le diagramme ci-dessous est extrait d'une vidéo de Stephen Seiler, et concerne la fréquence cardiaque:

Les zones d'intensité cardiaques (d'après S. Seiler).

Ce que le diagramme indique c'est qu'il existe effectivement deux seuils où des mesures montrent une différence physiologique qui peuvent donc être déterminés pour un athlète ... à condition qu'il effectue les tests correspondant dans un laboratoire, ce qui définit 3 zones majeures. 

Les autres limites de zones ne peuvent être mesurées.  La littérature sportive mentionne le plus souvent 5 zones (parfois plus). Devant la difficulté d'établir des valeurs personnalisées pour chaque limite de zone et chaque athlète, l'approche proposée est de définir arbitrairement 5 zones dont les limites sont respectivement 70%, 90%, 100% et 110% du seuil (intensité 100).

On propose également, en plus du temps passé, de calculer la charge d'entrainement dans chaque zone, qui représente le "travail" effectué dans chaque zone, et a pour effet de donner plus de poids
Finalement, pour prendre en compte l'incertitude liée aux limites de zone, l'approche "floue" décrite ici est appliquée aux calculs de charge et temps passé dans chaque zone. 

Les diagrammes ci-dessous présentent l'application de cette approche à une de mes séances d'entrainement récentes (FC 0 watts 80, FC seuil 152, seuil puissance 220). 

Il s'agit d'une sortie club à allure raisonnable. Le temps dans chaque zone est présenté en vert, tandis que la charge par zone est en rouge. La somme des charges d'entrainement par zone est la charge d'entrainement total de la séance (car le même lissage est appliqué).


 
Diagrammes de charge et temps passé par zones de fréquence cardiaque et de puissance
(générés par tukos)

On remarque que la répartition par zone cardiaque est comparable à la répartition par zone puissance. La principale différence se situe dans les zones 4 et 5, où le temps passé et la charge en puissance sont nettement plus élevées qu'en cardiaque (dans ce cas c'est l'indication d'un état de fatigue).

On remarque également la différence importante entre la charge par zone et le temps par zone: les plus de 2 heures passées dans la première zone (fc < 130 ou p < 154) sur une séance de 3h15 ne représentent que 40% de la charge cardiaque et 31% de la charge puissance.

Courbes d'intensité

Une autre façon de présenter la variation d'intensité durant la séance est via les courbes d'intensité. Si la courbe de puissance est bien connue des cyclistes équipés d'un capteur de puissance, on peut construire le même diagramme pour la fréquence cardiaque:

 
Courbes de durée et temps passé en puissance et fréquence cardiaque
(générés par tukos)

Les courbes de ces diagrammes sont pour la même séance que les diagrammes d'intensité par zone plus haut. 

Deux courbes sont présentées
Pour les valeurs de temps passé en puissance, il n'y a pas de lissage, afin de capturer le pic de puissance.

Pour les durées en puissance, un algorithme spécifique de lissage est utilisé, qui sera discuté dans un prochain post. Il s'agit de capturer le pic de puissance (pas de lissage) tout en évitant qu'une seconde à puissance faible (par exemple pour éviter de percuter la roue arrière du cycliste juste devant) n'interrompe un intervalle à intensité soutenue.

Il est d'usage d'utiliser un axe horizontal logarithmique pour ces diagrammes, qui donne un focus sur les hautes intensités, au détriment d'une vue globale de la sortie: la moitié des deux diagrammes ci-dessus est dédiée à 100 secondes d'une sortie de plus de 3 heures.


Autres métriques: Cadence, pente:

La cadence et la pente sont d'autres métriques auxquelles le sportif voudra s'intéresser. Au-delà du dénivelé positif et de la cadence moyenne, des diagrammes similaires aux diagrammes d'intensité peuvent être proposés.

Les deux diagrammes ci-dessous montrent la différence entre une de mes sorties "normales" en termes de cadence, et une sortie où j'ai spécifiquement travaillé la vélocité. Dans la première, le cumul de charge au-delà de la cadence 80 est de 47, soit 37% de la charge totale, dans la seconde, elle est de 104, soit 82% de la charge totale:

Diagrammes de charge et temps passé par zones de cadence
(générés par tukos)


Les deux diagrammes ci-dessous montrent la différence entre une de mes sorties "normales", et une sortie "dénivelé courte", dans le sud Essonne, un peu vallonné. Dans la première, le cumul de charge supérieure à 4% de pente est de 13, soit un peu moins de 10% de la charge totale de 120 (pour un temps en mouvement de 2h18), et dans la seconde, elle est de 38, soit 56% de la charge totale de 67 (pour un temps en mouvement de 1h28):

Diagrammes de charge et temps passé par zones de pente
(générés par tukos)

Tableau de bord de séances:

Il est utile de pouvoir présenter les différents indicateurs sur un même diagramme. C'est l'objectif du diagramme en "toile d'araignée" ci-dessous, que j'ai défini pour moi-même en ce début de saison:

Tableau de bord de séance(s)
(généré par tukos)

Il présente, pour les séances sélectionnées (dernière séance en vert, avant dernière séance en orange, ou séance de mon choix en bleu):
  • les charges cardio et puissance.

  • les charges cardio et puissance supérieures à 90% du seuil, que j'ai choisies comme représentatif de la part de haute intensité de mes sorties

  • les intensités cardio et puissance, sachant qu'une séance de moindre charge aura en général une plus haute intensité qu'une séance de forte charge. C'est le cas de l'avant dernière séance comparée à la dernière qui est à ce jour ma plus "grosse sortie" cette saison.

  • la distance et le dénivelé positif

  • la progressivité cardio, qui est de 1,5 en fin de dernière séance, alors qu'elle était de 1 à la fin de la séance précédente (la veille)
On remarque aussi que la charge cardio est strictement identique à la charge puissance pour cette dernière séance: c'est dû à un problème d'enregistrement des mesures de puissance. Dans ce cas, plutôt qu'une valeur de charge puissance nulle, on la choisit arbitrairement égale à la charge cardio. 

L'analyse des différences entre charge cardio et charge puissance au fil des séances, et le traitement des anomalies de mesure seront abordés dans des prochains posts.

L'intérêt des diagrammes en toile d'araignée est qu'ils permettent de présenter des indicateurs de nature différente sur un même diagramme, et ainsi avoir une vue d'ensemble des indicateurs jugés les plus pertinents.

Aptitude et Tableau de bord d'aptitude:

On a rappelé en introduction la définition de la condition physique: c'est la moyenne pondérée de la charge d'entrainement de chaque séance passée, de sorte que la contribution à la condition physique aujourd'hui de la charge d'entrainement d'une séance passée diminue d'environ 2,5% pour chaque journée écoulée depuis cette séance.

Cette moyenne pondérée est journalière: une condition physique cardio de 50 un jour donné est l'équivalent d'une charge cardio quotidienne de 50 durant tous les jours qui précèdent.

On peut l'appliquer à tous les indicateurs, ce qui revient simplement à dire que l'effet d'une séance passée sur ces indicateurs s'atténue avec le temps. On nomme ces moyennes pondérées particulières aptitude (traduction en français de la fitness de Banister). On obtient ainsi,
  • pour les indicateurs quantitatifs:  l'aptitude cardio (qui est la condition physique basée sur la fréquence cardiaque), et puissance, mais aussi l'aptitude cardio ou puissance  > 90%, ou l'aptitude de distance, de dénivelé positif, etc. Ce sont des moyennes pondérées journalières: une aptitude de dénivelé positif de 200 un jour donné est l'équivalent de dénivelé quotidien de 200m durant tous les jours qui précèdent, ou d'une moyenne de 1400 m de dénivelé chaque semaine.

  • Les indicateurs d'intensité sont des quotients de moyennes pondérée, par exemple l'intensité cardio est le quotient de l'aptitude cardio par la moyenne pondérée des temps en mouvement

  • La progressivité est le quotient de l'aptitude (cardio ou autre) par la fatigue
On obtient ainsi le tableau de bord d'aptitude, qui représente mon état de préparation:



La courbe en pointillé représente les objectifs que je me suis fixés, à atteindre au 31 mai, date à laquelle j'aimerais être suffisamment préparé pour prendre plaisir à la montée du mont Ventoux (à confirmer 😛):
  • J'ai fixé l'objectif d'aptitude cardio et puissance à 50, basé sur mon expérience passée. Ce sont clairement les indicateurs les plus importants.

  • Pour les objectifs d'aptitude cardio et puissance à 90%, je tâtonne: c'est la première année où je suis ce type d'indicateurs. J'ai choisi 90% du seuil parce que au-dessus me paraît trop peu représentatif de ce dont j'ai besoin par rapport à l'objectif, et la valeur de 20 me paraît ambitieuse au vu de ce que je réalise en ce début de saison. Avec l'amélioration de l'aptitude cardio et puissance, je suppose qu'au moins en puissance cela deviendra plus facile

  • les objectifs d'aptitude d'intensité sont là pour m'assurer que je ne donne pas "dans la facilité". Cependant il se peut que dans le futur je ne les garde pas: les aptitudes supérieures à 90% du seuil me paraissent plus représentatifs du travail en intensité durant une séance.

  • Les objectifs d'aptitude de distance et dénivelé sont là pour référence: en fin de préparation il me faudra faire au moins 210 (7 x 30) kms et 1750 m de dénivelé par semaine pour espérer atteindre ces objectifs

  • J'ai considéré que  la seule progressivité cardio suffit pour décrire les risques de sur et sous-entrainement
La courbe en vert présente mon aptitude aujourd'hui, celle en jaune l'aptitude en fin de semaine dernière: nous sommes mardi et je n'ai pas encore fait d'entrainement cette semaine: la progressivité cardio est déjà descendue de  1,5 à 1,2, soit 25% ce qui est une bonne nouvelle, les aptitudes ont elles diminué de 5%.

Mon cockpit 2024:

La copie d'écran ci-dessous montre comment je suis désormais mon niveau de préparation pour la saison 2024:

Tableau de bord de suivi d'entrainement (généré par tukos)


La date sélectionnée est par défaut la date du jour. Elle peut être modifiée, auquel cas les indicateurs de semaine sélectionnée et jour sélectionné sont actualisés sur les diagrammes de suivi, ainsi que le tableau de bord d'aptitude, et la séance sélectionnée est la dernière séance précédant la date sélectionnée, ce qui permet d'effectuer des comparaisons.

Finalement, les diagrammes de zone et les courbes de puissance sont des outils complémentaires qui me permettent d'analyser et comparer des séances particulières.

Ce "cockpit" de pilotage est personnalisable: nul doute que dans les semaines et mois qui viennent il évoluera, que certains indicateurs seront remplacés par d'autres, en fonction des leçons de l'expérience et de l'évolution de mes objectifs: "stay tuned😉".

Conclusion:

Un auteur a écrit: "ce qui ne se mesure pas ne s'améliore pas", et un autre: "Lorsqu'une mesure devient un objectif, elle cesse d'être une bonne mesure". 

Les indicateurs sont une aide efficace pour le sportif, à condition qu'il soient au service de ses objectifs sportifs, d'écouter ses sensations et de garder un esprit critique. Ce sera l'objet de posts à venir, dans un objectif d'amélioration continue des indicateurs et tableaux de bord de suivi associés.